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Une curieuse manière de se dire au revoir…
Le seul Refuge, c’est toi, m’a dit Senseï
Il n’a le droit de voir personne d’autre.
Oui, Senseï.
Les deux yudansha (porteur de ceinture noire) acquiescent. Mon oreille gauche bourdonne encore. Qui a dit que le corps humain formait un tout ? Le mien est comme séparé en deux : le haut et le bas. Ou plutôt, le haut ou le bas. Il doit y avoir des travaux au milieu, aucune communication n’est possible. Alors, les atemis (coup visant un point vital) pleuvent.
La menace est plus forte que l’exécution.
Aaron Nimzowitsch (ne cherche pas, ce n’est pas un maître d’art martiaux, mais un champion d’échecs…)
C’est vrai. J’ai plus de peur que de mal.
Les larmes de peur sont-elles différentes des larmes de douleurs ?
Difficile de distinguer le ruissellement des larmes parmi la sueur de mon visage.
Senseï vient de me prendre comme Uke (= partenaire, celui qui reçoit) pour démontrer la technique.
Je tente de lâcher ma peur.
Mes peurs.
Toutes mes peurs.
D’y aller, de l’attaquer, sans arrières-pensées.
Shomen : coupe avec la main de ma tête vers la sienne, comme un sabre.
Dans le Birankaï, notre école d’Aïkido, la menace de l’atemi est omniprésente. Cette menace permet la vigilance et la réactivité.
Idéalement.
Car là, chaque coup que je tente, c’est deux atemis qui me touchent en retour. Certainement des atemis riches en enseignement…
Mais pour le moment, c’est douleur, peur, mental qui s’agite, muscles qui crient. Il faut suivre, ne pas perdre le contact… et éviter le rouleau-compresseur quand Senseï me donne la possibilité de chuter, c’est à dire réaliser un ukemi, s’éloigner pour mieux revenir, en faisant une roulade.
Il me mouline, les larmes arrivent, je continue. Faites que Senseï n’ai pas pitié de mon état. Drôle de crainte, n’est-ce pas ?
Croyance profonde… Ma plus grande peur est d’être rejeté. Là, en ce moment précis, j’apprends à revenir dès qu’on me jette.
Le but ultime de l’Aïkido est le développement spirituel
C’est pour ça que je pratique.
Je crois.
Pour être quelque chose, quelqu’un. Juste là, juste ici. Ici et maintenant.
Je peux tricher avec le passé, revisiter mes souvenirs. Je peux tricher avec le futur, me projeter. Je ne peux pas tricher avec cet inconnu, le présent. Je ne peux pas tricher avec l’Aïkido.
5 mois suffiront-ils pour faire l’expérience de ce moment insaisissable (comme les poignets de Senseï) et pourtant le seul pleinement habitable, le présent ?
Tiendrai-je tous les moments présents qui formeront ces 5 mois ?
Comment lâcher prise et tenir bon ?
Les larmes ont coulé. Je suis mon seul refuge. Je dois être mon seul refuge. Et quand je le serai, quand je pourrai enfin être indépendant du regard des autres, protégé par moi-même, j’aurai encore une ultime tâche à accomplir.
Me protéger de moi-même. Me libérer de moi-même en détruisant ce dernier repère.
Et ainsi, ayant renoncé à toute sécurité, je serai libre.
Libre de toute peur.
La sécurité amène la menace.
Je suis libre.
Je suis.
Je.
_ .
La peur pousse à résister, à supprimer; et lorsqu’on est en état de défense de soi, comment s’aventurer sur la mer inexplorée ?
La vérité, le bonheur ne peuvent venir sans que soit entrepris ce voyage à la découverte des façons d’être du moi.
Or, vous n’irez pas loin si vous restez à l’ancre. (…)
Un refuge requiert une protection, et ce qui est protégé bientôt est détruit.
Commentaires sur la Vie, Jiddu Krishnamurti
Je suis touché, les larmes ont coulé. Il est bientôt temps de se dévoiler, de remplacer l’ancre par l’encre et de traverser l’océan inexploré…
Merci Senseï pour ce « cadeau » de départ.
Cet article fait partie de la chronique relayant mon aventure en tant qu’uchi-deshi. Pour lire le premier article, c’est par ici.